
Le rapport au travail change. Les carrières linéaires, les CDI « à vie » et les parcours RH tracés à l’avance ne sont plus la norme. Le freelancing s’impose aujourd’hui comme une réponse à la quête d’indépendance, de sens, et de flexibilité de nombreux professionnels, y compris dans la sphère RH. De plus en plus d’entreprises collaborent avec des freelances RH pour renforcer leur agilité : recrutement, SIRH, marque employeur, C&B… toutes les expertises peuvent désormais s’externaliser.
Mais alors, comment concilier cette autonomie revendiquée avec les impératifs d’organisation, de cohérence et de performance interne ? Peut-on encadrer un freelance sans pour autant le contrôler ? Et comment éviter les effets pervers d’un encadrement trop rigide ou d’une intégration trop superficielle ? Ces questions sont loin d’être anecdotiques.
D’autant que ce sujet entre en résonance directe avec des enjeux plus larges : la culture managériale, la diversité des formes de travail, et les biais persistants dans les pratiques RH. À ce titre, il rejoint les constats dressés dans cet article sur le plafond de verre et l’action concrète des entreprises. Là où certains profils sont freinés par des obstacles invisibles, d’autres – comme les freelances – sont encore tenus à distance du cœur de l’entreprise. Il est temps de repenser les frontières internes.
Freelance ≠ prestataire invisible
Trop souvent, le freelance est encore perçu comme un simple « prestataire » : autonome, certes, mais aussi périphérique. Il ne fait pas partie des réunions d’équipe, ne connaît pas la vision de l’entreprise, n’est pas inclus dans les célébrations internes ou les rituels RH. Il reçoit une commande, livre, puis disparaît. Résultat : un sentiment d’isolement pour le freelance, et une perte d’efficacité ou de cohérence pour l’entreprise.
À l’inverse, certaines organisations tombent dans l’excès inverse : elles veulent intégrer les freelances « comme des salariés », avec les mêmes attentes, les mêmes outils, les mêmes process. Or, ce n’est pas leur rôle. Le contrat est différent, le cadre est différent, les droits aussi.
L’enjeu n’est donc pas d’assimiler, ni d’exclure, mais de créer une relation de collaboration équilibrée.
Encadrer ≠ imposer
Encadrer un freelance, ce n’est pas le surveiller ni lui imposer les mêmes règles qu’un salarié. C’est plutôt :
- Clarifier les objectifs : que doit livrer le freelance, dans quels délais, avec quel degré de liberté ?
- Donner du contexte : partager la vision, les contraintes, les points de vigilance, pour l’aider à être pertinent.
- Fixer un cadre clair sans ingérence : quelles réunions sont pertinentes ? Quels outils ? Quelle fréquence de contact ?
- Valoriser la contribution : remercier, donner du feedback, reconnaître la valeur du travail réalisé.
Le cadre doit être négocié, pas plaqué. L’écoute est clé. Chaque freelance a sa manière de fonctionner. La responsabilité RH est d’adapter sans dénaturer.
Des pratiques RH à adapter en profondeur
Travailler avec des freelances, ce n’est pas juste signer un devis et envoyer un brief. Cela oblige à repenser certaines pratiques RH :
- Onboarding : même temporaire, un freelance doit pouvoir comprendre votre culture, vos règles de sécurité, vos outils. Un kit d’accueil freelance peut faire la différence.
- Communication : quelles infos partager ? À quel rythme ? Un point hebdo peut suffire, mais il doit exister.
- Inclusion : certains freelances collaborent avec vous depuis des mois, voire des années. Pourquoi les exclure des moments d’équipe, des vœux de fin d’année ou d’une newsletter interne ?
- Évaluation : oubliez les grilles d’entretien annuel. À la place : debrief régulier, retour sur livrable, co-construction des axes d’amélioration. C’est plus utile, et plus respectueux.
Ce que les freelances attendent vraiment
Du côté des freelances, les attentes sont simples. Et souvent, elles rejoignent celles des salariés :
- De la clarté : sur les attentes, les délais, les modalités de collaboration.
- De la confiance : pouvoir s’organiser sans micro-management.
- De la reconnaissance : même si le contrat est temporaire, l’implication est réelle.
- De la transparence : sur les conditions de renouvellement, les budgets, les contraintes internes.
Les freelances ne demandent pas de baby-foot ni de séminaire au vert. Mais ils apprécient d’être considérés comme des partenaires à part entière, et pas comme des exécutants invisibles.
RH et leadership distribué : vers une nouvelle culture du travail
Le vrai enjeu derrière cette question est celui du leadership. Plus l’entreprise accueille de formes de travail différentes (CDI, freelance, CDD, alternants, télétravail…), plus elle doit développer un leadership distribué : horizontal, responsabilisant, clair sans être autoritaire.
Les RH ont ici un rôle de premier plan : non pas imposer des modèles rigides, mais créer des conditions propices à l’engagement, quelles que soient les formes contractuelles. C’est une nouvelle facette de leur mission d’inclusion.
D’ailleurs, ce défi rejoint celui du plafond de verre : comment faire évoluer les mentalités pour intégrer tous les talents, au-delà des statuts, des genres, ou des parcours ? Le management inclusif n’est pas réservé aux grands discours. Il commence avec les détails du quotidien.
En conclusion
Encadrer les freelances sans les contrôler, c’est accepter une posture plus souple, plus adulte, plus partenariale. C’est sortir d’un modèle où l’entreprise détient le pouvoir pour aller vers un modèle de collaboration plus circulaire, plus fluide, plus humain.
C’est aussi une formidable occasion de tester de nouvelles pratiques, de remettre en question certains automatismes RH, et de faire progresser la culture managériale vers plus de responsabilité et de confiance.
À l’heure où les entreprises s’interrogent sur l’inclusion, l’engagement et l’avenir du travail, repenser la place des freelances n’est pas un luxe. C’est une nécessité.